Au tournant du XIXe siècle s'est esquissé un rapprochement entre médecine et philosophie, qu'illustrent des oeuvres comme celle de Cabanis ou Tracy. Mais la médecine s'est ensuite proposé de remplacer purement et simplement une philosophie considérée comme "ontologique" ou "métaphysique", avec des médecins-philosophes comme Broussais ou Gall. Plus largement nombre de médecins envisagent de périmer la plupart des questions philosophiques traditionnelles en leur donnant des réponses "positives" et définitives. Cette démarche connut un large écho durant le XIXe siècle, à tel point qu'il serait possible de parler alors d'une véritable "vision médicale du monde".
Trois exemples seront donnés, à trois époques différentes du XIXe siècle.
L'antique question des rapports de l'âme et du corps devait pouvoir être remplacée par la question des rapports du "moral" et du "physique", ou plus exactement du "cerveau" et du "corps". C'est l'objectif de la phrénologie de Gall ou de la philosophie comtienne du cerveau, qui prétendent dépasser l'opposition entre théories sensualistes et spiritualistes de la conscience et du moi.
La question de la la responsabilité et de la liberté est également censée être résolue par la criminologie, à partir des années 1870. Or cette discipline, qui prétend en finir avec l'"illusion" du libre-arbitre, se fonde sur une vision médicale très particulière, notamment chez son fondateur, Cesare Lombroso. Ce sont des médecins ou des psychiatres qui vont désormais traiter de la question de la responsabilité dans les revues philosophiques.
Enfin, s'agissant de la question des fins dernières de l'homme, un auteur comme Auguste Comte, entend lui donner une réponse "positive" en dressant un tableau scientifique de "l'avenir humain". Ici aussi ce sont des théories biomédicales, les "utopies positives" de la longévité, des vaches carnivores et de la Vierge Mère, qui sont mises à contribution pour donner une description détaillée de ce que sera cet avenir humain.
Il convient alors de se demander dans quelle mesure ces "solutions" médicales apportées à des problèmes philosophiques traditionnels, loin d'être "réductionnistes" ou "éliminativistes", ne conservent pas certains des aspects les plus "métaphysiques" de la philosophie traditionnelle.