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La part métaphysique de la physiologie selon Claude Bernard
François Duchesneau  1@  
1 : Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie  -  Website

La composante philosophique la plus manifeste de l'œuvre de Claude Bernard réside dans sa doctrine de la méthode qu'expose particulièrement l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (1865). Il est par ailleurs facile de rapprocher sa défense de l'expérimentalisme d'un éloignement critique à l'égard de toute forme de métaphysique de la nature – position qui s'apparente à celle de son maître François Magendie. Dans ses écrits physiologiques, il fait parfois référence à des questions qu'il estime du ressort de la métaphysique, mais dont il entend dissocier, autant que faire se peut, les hypothèses de la science expérimentale qu'il pratique. Dans le même temps toutefois, on lui connaît de notables réticences à l'égard du positivisme d'Auguste Comte et de ses disciples, et notamment de l'idée d'une philosophie réduite à la seule mise en forme de généralités induites des relations entre phénomènes. Ainsi Bernard note-t-il : « [Comte] croit chasser la métaphysique en admettant des généralités philosophiques qu'il appelle positives : pas du tout. Toutes les théories scientifiques sont des abstractions métaphysiques » (Philosophie. Manuscrit inédit, Paris, Hatier-Boivin, 1954, p. 32). Certes, l'on est en droit d'attribuer cette attitude critique de Bernard à des conceptions épistémologiques divergentes de celles de Comte. Mais jusqu'où s'étend ou peut s'étendre l'admission de thèses proprement métaphysiques dans l'œuvre scientifique même de Bernard ? La réponse qu'on apporterait à cette question pourrait éclairer les raisons de l'utilisation considérable que firent des concepts de la science bernardienne les philosophes français de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Or, dans l'enquête que je mène actuellement sur l'œuvre de Bernard, je me suis particulièrement intéressé au projet bernardien de fournir une théorie des « radicaux de la vie » au fondement de la physiologie générale, projet dont l'ébauche la plus achevée se trouve dans le Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France (1867). D'autres mises en forme théorique se produiront par la suite jusqu'aux Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux (1878-1879). Quelle que soit la période considérée, il faut se représenter que la synthèse que Bernard entreprend de réaliser sur ce thème ne constitue nullement le supplément accessoire de ses recherches expérimentales, lesquelles fourniraient seules les bases méthodologiques de la médecine scientifique à promouvoir. De fait, Bernard estime que l'on ne saurait développer la physiologie générale sans élaborer un cadre théorique pour lequel diverses ressources tant philosophiques que scientifiques doivent être mobilisées, y compris ce que l'on peut tenir pour des concepts métaphysiques. Je tenterai de montrer comment ces concepts interviennent dans la construction théorique lorsqu'il s'agit de penser les propriétés de l'organisme élémentaire, les processus de la création vitale, la synthèse morphologique, la provenance et le rôle de l'élément de forme et les lois dormantes de la morphogenèse.


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